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TikTok est une drogue dure

Par David Desjardins, cofondateur de la flèche

 

Alexandre Turcotte est un des plus fervents observateurs de TikTok au Québec.

Son infolettre est incontournable si on s’intéresse à cette plateforme qui, à son avis, n’est pas vraiment un réseau social, mais plutôt un moteur de contenus. C’est aussi devenu un vecteur de culture populaire redoutable… et redouté en raison de ses racines en sol chinois. Si bien que le gouvernement américain menace désormais de l’interdire. En tant qu’utilisateur captivé, fasciné, souvent captif, aussi, j’avais hâte de discuter avec Alexandre. Ce qui explique que mes questions sont parfois aussi longues que ses réponses…

À quel moment as-tu compris le potentiel que recelait TikTok?

Au début, ça ne m’intéressait pas trop. Mais ça m’intriguait. J’ai commencé à en apprendre davantage sur l’appli et son fonctionnement. J’ai fait une première vidéo, un peu comme un vlogue. En 24 heures, j’ai obtenu 35 000 vues. Je viens du monde du blogging, je travaillais en SEO, et quand tu fais un billet de blogue, t’es content·e quand t’as 300 vues en une semaine. J’ai vu l’impact que ça pouvait avoir : c’est là que ça a commencé.

Il y a eu un tournant dans l’histoire de TikTok. C’était surtout une affaire de chorégraphies, très populaires chez les jeunes ados. Puis, presque tout d’un coup, ça s’est peuplé d’utilisateur·ices de tous les genres. Depuis, c’est un laboratoire de création de contenus vraiment fascinant…

Oui, effectivement, c’était très centré sur la musique. Je dirais que depuis les deux dernières années, c’est un peu moins le cas, même si la musique reste un volet important de l’utilisation qu’on fait de la plateforme.

Et là c’est presque devenu une plateforme de micropodcasting…

Hahaha! Je dis souvent que TikTok ne se positionne pas comme un réseau social, mais plutôt comme une plateforme de contenu. Donc, c’est plus en concurrence avec YouTube qu’avec Instagram, même s’ils sont clairement en concurrence avec tout le monde… Mais pour eux, l’objectif numéro un est le divertissement.

Il y a beaucoup de gens qui pensent encore que c’est une plateforme pour adolescent·es ou pour enfants. Que disent les statistiques sur l’âge des utilisateur·ices?

Que c’est majoritairement des 25-35 ans qui utilisent la plateforme. Mais ce qu’on voit, c’est que les 35-45 et les 45-55 aussi y sont très présent·es. Ces trois groupes mis ensemble forment environ 70 % des utilisateur·ices.

Ça fait un moment que le gouvernement américain menace de bannir TikTok. Es-tu surpris de la rapidité avec laquelle il semble vouloir aller de l’avant?

Oui, vraiment. C’est en train de se faire maintenant! Si la loi passe, comme on dirait que ça va arriver, ils vont interdire TikTok, à moins que la compagnie soit vendue [à des intérêts américains] avant 12 mois.

Et qu’est-ce qui va se passer si, comme ça semble être le cas, ByteDance, la compagnie propriétaire de TikTok, refuse de vendre?

Honnêtement, j’en ai aucune idée. Mais ça pourrait avoir un impact important sur l’économie américaine, selon ce que plusieurs études affirment. Ça aura certainement un impact pour les utilisateur·ices, et il y en aura un majeur pour les entreprises qui dépendent beaucoup de la plateforme et pour les créateur·ices de contenus qui en vivent ou en retirent un important revenu.

En même temps, la plateforme est devenue incontournable. Joe Biden semble jusqu’ici favorable à son bannissement pour des raisons de sécurité, mais il y publie du contenu quand même…

Oui. François Legault est aussi de retour après son hiatus d’un an. La plateforme est incontournable dans le monde des médias sociaux. C’est sûr. Et ça a changé la donne à plusieurs niveaux. La façon dont nous consommons le contenu, le type de contenu que nous consommons. YouTube crée des Shorts, Instagram crée des Reels [pour répondre à la popularité de TikTok]… Les algorithmes ont aussi changé.

Alexandre Turcotte

J’ai l’impression, surtout avec X et Instagram, que ces outils font comme TikTok désormais : ils me remontrent sans arrêt le contenu qui vient de personnes dont j’ai déjà consulté les publications, ou alors des choses qui s’y apparentent. Ce n’était pas comme ça avant.

Absolument. Avant, c’était surtout basé sur l’historique d’abonnements, et maintenant c’est surtout ton historique de consommation de contenu qui dicte ce que tu vas voir. Et c’est là que TikTok a changé la donne.

Parce que ce n’est pas parce que tu es abonné·e à un groupe de musique depuis 12 ans sur Facebook que c’est encore pertinent que tu voies le contenu aujourd’hui, simplement parce qu’ils vendent des billets de spectacle, alors que tu n’as pas écouté une seule de leurs chansons depuis 10 ans. La nouvelle manière de faire imposée par TikTok fait que le contenu qui t’est donné à voir est plus pertinent, parce que ça ressemble à ce qui t’intéresse et ce que tu aimes en ce moment.

 À part en raison de l’algorithme, comment tu expliques que la plateforme soit devenue si populaire si rapidement?

C’est la vidéo. D’abord parce qu’on y voit des humain·es, que la culture du contenu dans TikTok fait que les gens y sont plus authentiques. Les vidéos sont courtes, c’est du snacking content. Et puis finalement, il y a plus de gens qu’on pense qui ont de la difficulté à lire, alors une vidéo avec de la musique et des gens qui parlent, ça devient beaucoup plus facile à consommer.

C’est aussi ce qui rend difficile pour les entreprises d’y trouver leur place. Ça leur prend des gens qui ont envie de se mettre à l’avant.

C’est sûr que c’est plus compliqué que de faire venir un photographe, faire faire des images très léchées, et avoir des semaines de contenu à l’avance. Ça demande de l’engagement du personnel ou des patron·nes.

Il faut avoir un personnage à sa disposition, un·e ambassadeur·ice. Mais les gens qu’on voit là, ce ne sont pas toujours des superstars, ils s’expriment parfois maladroitement…

Oui, mais c’est justement ça qui les rend intéressants. Ils ressemblent à de vraies personnes, à des gens que tu rencontres dans la rue, que tu croises quand tu vas faire des courses… Et puis il y a les personnages étranges, un peu atypiques, qui sont très populaires aussi. Mais encore là, ils sont imparfaits. C’est ça qui fonctionne. Le réalisme. Quand les marques essaient de faire passer des publicités très léchées, dans des contextes qui paraissent trop mis en scène, les utilisateur·ices décrochent. On peut faire de la publicité et du contenu de marque sur TikTok, mais pour que l’auditoire embarque, ça doit ressembler à ce qui s’y fait déjà, ça doit avoir l’air vrai. Après, tu peux booster des publications et tout ça, mais ce qui compte, c’est la qualité du contenu et qu’il corresponde à la culture de la plateforme.

On parlait de comment tout le monde copie TikTok, mais maintenant TikTok semble aussi vouloir prendre le contrôle des médias sociaux en exploitant tous les formats.

Oui, il y a Tiktok Notes, qui est apparu la semaine dernière et qui est basé sur la photo, comme Instagram et Pinterest. Et le but est clairement de garder l’auditoire sur la plateforme autant que possible. La prochaine étape, ça va être de regarder du contenu provenant d’un restaurant et de pouvoir commander directement sur TikTok pour te faire livrer, sans avoir à sortir de l’appli : ça va devenir une plateforme multicanal qui peut offrir tout ce que les gens veulent.

Y compris magasiner?

C’est actuellement ce qui se passe aux États-Unis où TikTok Shop [pas encore dispo ici] entre en concurrence directe avec Amazon. Maintenant, les entreprises américaines peuvent avoir une boutique directement sur leur compte TikTok.

Je pense que TikTok, c’est la chose qui ressemble le plus à la télévision qu’on a vue jusqu’à présent, pour plein de raisons. Un, parce que ça te permet de zapper comme avec la TV, comme quand tu changes de poste.

Ouais, c’est presque une télécommande!

Vraiment. Et deux, parce que TikTok a son propre star-système. Il a sa propre culture, où les gens se répondent. Le TikTok québécois ressemble à la télé québécoise, avec ses codes, le public qui connaît ses personnages qui, eux, entrent rapidement dans la culture populaire…

Il y a des chaînes différentes aussi où tu peux voir des productions plus éducatives. Il y a des chaînes d’information; tous les médias sont là maintenant, donc tu peux t’éduquer sur l’actualité. Tu peux t’amuser comme tu veux.

Tu parles souvent de s’amuser. En entrevue avec Wired il y a quelques mois, le patron de la plateforme répétait aussi ça : cette idée que TikTok soit avant toute chose un outil de divertissement. Ce n’est pas étranger au fait qu’on y trouve beaucoup d’outils de ludification des contenus, des manières de réagir à de la vidéo, d’en créer à l’aide de filtres ou de jeux intégrés…

Oui, et hier j’ai vu quelque chose de nouveau dans le genre. C’était ma blonde qui était là-dessus : un jeu, dans TikTok, avec des questions de connaissances générales, de type «trivia». Effectivement, le but numéro un est de s’amuser, peu importe de quelle manière. Pour beaucoup d’utilisateur·ices, ça veut aussi dire de s’instruire, d’élargir leurs connaissances générales dans des jeux ou à travers des contenus éducatifs. Aux États-Unis et en Europe, il y a comme un troisième fil de contenu [en plus d’Accueil et Amis] qui est maintenant disponible et qui s’appelle STEM [pour Science, Technology, Engineering, and Mathematics]. C’est juste du contenu de qualité, si on peut appeler ça comme ça, où les gens peuvent apprendre. Et ce qui s’y trouve est validé par un comité qui s’assure que les informations qui sont partagées sont factuelles et fiables.

Pour terminer, qui est ton «personnage» préféré sur TikTok?

En ce moment? C’est Normand Marineau.

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