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Le «clickbait» est-il la première victime de l’IA?

Les joueurs médiatiques du web accusent le coup de la baisse des revenus publicitaires. Mais qui est responsable? La pub ou les limites du contenu jetable comme appât pour le lectorat? Pour certains, l’arrivée de l’IA sonne le glas de l’hameçonnage.

 

Par David Desjardins

 

J’ai longtemps été un grand fan de Vice.

Fin de l’adolescence, début vingtaine, j’étais fasciné par les permissions que s’accordait ce média. Ça allait au-delà de l’irrévérence. Ça versait même outrageusement dans la provocation, si bien qu’il n’y a plus grand-chose qui serait aujourd’hui publiable dans tout ça, mais c’était une bouffée d’air enfumé et d’humour acide dans le monde plat et policé des médias du milieu et de la fin des années 1990.

Visuellement, le magazine était superbe, avant-gardiste. Dans la veine de ce que faisait Ray Gun dont j’admirais la mise en page souvent aussi stimulante que chaotique à ses débuts.

Puis le mag, fondé à Montréal, est devenu une sorte d’empire mondial : Vice Media. Encore là, il était en avant des tendances. Son excellent et rigoureux contenu de marque a considérablement influencé mon passage de l’autre côté du miroir médiatique. (Pour la petite histoire, j’ai occupé le poste de rédacteur en chef de l’hebdo Voir à Québec de 2002 à 2012)

La fin d’un modèle d’affaires

Vice faisait aussi du grand reportage, de la télé, et tout un lot de productions coûteuses qui brassaient la cage. Cependant, son modèle d’affaires en ligne reposait essentiellement sur le clickbait.

En gros, il s’agissait d’hameçonner le lectorat en lui proposant des textes sur la dope ou le cul, de récolter des clics vers des pages comportant de la pub, puis de réutiliser les profits pour faire du contenu de qualité.

C’était, pour l’époque, l’équivalent des faits divers dans les médias traditionnels. Ils y ont été remplacés par l’opinion, de nos jours.

Tout ça pour dire que Vice a déclaré faillite. En même temps ou presque, BuzzFeed fermait sa salle de nouvelles. Chez ce dernier, malgré la présence de matériel de grande qualité, les potins et les niaiseries étaient la clé de voûte de l’équilibre budgétaire.

La faute à l’IA?

La production commercialisable d’idioties ne pouvant égaler ce que génèrent les utilisateurs des réseaux sociaux, il faut croire que la concurrence est devenue féroce…

Car même un hyperproducteur de titres à propension virale comme Narcity semble à son tour s’avouer vaincu. Dans une récente missive, Chuck Lapointe, son PDG, annonce un changement important de son modèle… en raison de l’arrivée de l’IA qui viendrait, selon lui, radicalement modifier notre rapport à l’information. Surtout dans le segment démographique très jeune auquel il s’adresse.

Ce qui me paraît le plus intéressant dans le message de Lapointe, c’est son admission des limites – et des écueils – des contenus jetables. Ils sont divertissants. Mais avant tout, ils sont produits à faible coût, par une équipe de rédaction aux moyens passablement réduits. Du fast-food pour l’esprit.

C’était l’idée. Faire simple. Le festival du top 5 de quelque chose, quelque part. De quoi titiller l’algorithme des moteurs de recherche pour engendrer un maximum de trafic. Désormais, les jeunes de la génération Z emploient de plus en plus souvent TikTok pour savoir quel est le nouveau resto cool. Bientôt, une IA pourra probablement aussi leur répondre, de manière personnalisée, comme le croit Chuck Lapointe.

Les indémodables

Le modèle du clickbait était un mal nécessaire, dit Lapointe, qui se tourne maintenant vers une expérience qui ira en profondeur, afin de servir non pas uniquement la ligne des revenus d’une feuille de calcul, mais la valeur première dans l’information : les gens qui regardent, qui lisent, qui écoutent.

J’ai toujours eu l’intuition que la qualité demeurerait une valeur refuge dans l’univers des contenus et de l’information. En produire, en diffuser, c’est comme acheter de l’or quand tout le monde se garroche sur les cryptos.

Nous croyons qu’en faisant appel à l’intelligence et à la sensibilité des individus, les marques s’inscrivent de manière durable dans leur esprit. Elles investissent au lieu de «gambler».

Il y aura toujours un modèle en vogue pour venir remplacer le précédent. Hier, le clickbait. Aujourd’hui, l’IA. Nous devons nous y adapter, les comprendre, nous en servir au besoin. Mais il faut également cultiver ce qui persiste.

Aussi, même si tout semble conspirer contre elles, le combat n’est pas perdu : la qualité, la confiance et la fiabilité sont indémodables.

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