Le nouveau livre du producteur musical Rick Rubin est truffé d’anecdotes, trucs et astuces pour les créateurs qui se heurtent aux nombreux obstacles qui les empêchent de livrer le meilleur d’eux-mêmes. Un livre sur le travail de l’esprit qui rappelle quelques évidences que pourtant l’on oublie.
Je suis au cœur de ma lecture de l’essai de Rick Rubin The Creative Act: A Way of Being. Je le lis avec une ambivalence non dissimulée : il y a des passages qui me tombent royalement sur les nerfs de par leur évidence et la sensation qu’ils me laissent de lire un livre de développement personnel.
Et en même temps, chaque fois que je laisse de côté mon jugement, mes préjugés, mon ego, je me rends compte que ce qu’il raconte là n’est en fait qu’une sorte de somme de vérités que l’on oublie trop souvent, et qui sont essentielles à la mise en place d’un état créatif. Une manière d’être qui nous permet de faire mieux.
Je n’irai pas jusqu’à employer une expression comme « toucher au sublime » pour parler de contenu de marque. Il est trop rare que ce genre de matériel se laisse suffisamment aller pour que celles et ceux qui y travaillent puissent produire ce qu’on pourrait autrement appeler une œuvre.
Mais un geste créatif demeure un geste issu de l’imagination. Il est le fruit d’expériences, de souvenirs et d’une capacité d’aménager un espace pour tirer le meilleur de soi en tant que créateur·rice.
Rick qui?
À ce stade du texte, si vous ne connaissez pas Rubin et ne l’avez pas encore googlé, disons qu’il s’agit d’un type unique dans le monde de la musique. Il produit des albums, mais ne joue d’aucun instrument, ne manipule pas la console, ne propose pas vraiment d’arrangements.
Il crée des espaces de discussion et de réflexion pour que les musicien·nes parviennent à atteindre l’objectif souhaité : faire de l’excellente musique.
On lui doit, entre autres, les Beastie Boys, Blood Sugar Sex Magik des Red Hot Chili Peppers, quelques puissants albums de Slayer, Run-DMC, LL Cool J, Public Enemy, Audioslave, Joe Strummer, Rage Against the Machine, la fabuleuse série des American Recordings de Johnny Cash, Adele, Eminem, Lana Del Rey, le dernier des Strokes… J’en passe et des meilleures.
Avec le temps, son ranch californien est devenu un temple musical. Et lui, une sorte de gourou qui se promène pieds nus sur son domaine, habillé comme un moine bouddhiste (il est adepte de la méditation), prodiguant des conseils plus ou moins cryptiques aux créateur·rices.
Ceux de son livre me paraissent essentiels, mais absolument déphasés par rapport à notre manière frénétique de travailler, qui commande que nous soyons branché·es en permanence, toujours accessibles, sans cesse distrait·es.
Cela fonctionne pour certain·es. Andy Warhol, rappelle Rubin, travaillait avec la télé allumée et une radio qui jouait en même temps (Jean-Michel Basquiat aussi). Mais d’autres ont besoin d’espace, de silence, de recueillement.
Je ressens aussi de plus en plus le besoin de brasser des idées avec d’autres esprits pour arriver à la meilleure version de ce que j’ai à faire. Je suis chanceux, dans mon équipe – mais aussi avec les collaborateur·rices qui nous sont assignés par nos clients –, nous avons de bonnes têtes, capables de détourner le flot de nos idées pour les faire progresser autrement, dans une direction plus originale, ou alors qui répond simplement mieux à la demande initiale.
Capteurs d’idées
Je retiens du livre de Rubin que les idées sont là, toujours. À l’extérieur et à l’intérieur de nous. Mais elles doivent en quelque sorte être capturées, et pour cela, il faut se placer dans des dispositions favorables.
Je me surprends donc parfois, après avoir fait ma recherche pour la campagne d’un client ou pour un texte pour L’actualité, à m’arrêter au milieu d’une sortie de vélo, d’une marche ou d’une course pour prendre en note mes idées (sur le dictaphone de mon cell, évidemment). Plus je me concentre sur le geste méditatif de l’étude de ma foulée, de ma respiration, de mes jambes qui tournent autour de l’axe du pédalier ou de la position de mon corps au-dessus du vélo, plus je fais le vide. Même chose dans la douche, quand le son de l’eau qui ruisselle sur mes oreilles crée une sorte de bruit blanc qui me rend plus conscient de ce qui se trame dans mon esprit.
C’est là que les connexions se font. Que les informations qui flottent dans l’éther s’agrègent pour former une idée.
Tant par sa forme simple que par l’accessibilité de son propos, le livre de Rubin est un rappel que nous devons nous extraire de nos habitudes pour que l’excellence nous atteigne. Que le geste d’écrire, de créer, de penser commence par une accumulation d’informations (la culture personnelle, la recherche sur un sujet, les inspirations), puis trouve son tremplin dans l’inaction, dans le recul, dans la pensée libérée.
Une évidence pour plusieurs, disais-je. Néanmoins une sorte d’aide-mémoire des conditions nécessaires à la fabrication d’objets qui sortent du cadre, qui surprennent. Or, c’est exactement ce à quoi nous aspirons chez nous : ne pas penser comme une IA, mais avec la magie créative de l’esprit humain.
Nous n’avons jamais eu autant la possibilité de mettre en place ces conditions. Soit de sortir du bureau pour s’adonner à d’autres activités que le travail et mieux penser pour mieux créer. Ce serait bien de s’en servir pour faire autre chose qu’une brassée de linge de sport et l’épicerie.
Quoique parfois, j’ai d’excellentes idées au volant de mon gros panier.